Approche comparative des complexités sociales chez les haalpulaar et les Bedik

Dans le constat général, l’imaginaire du feu prend ses débuts dans la préhistoire. Chaque société accorde l’origine du feu soit au ciel ou à la terre. Mais sa domestication ne fut possible que par l’intermédiaire d’une espèce animale ou divine qui, de nos jours encore reçoit une vénération dans certain ethnies. Ces conceptions impactent considérablement le comportement de la société dans sa globalité.
 Chez les Haalpullaar, les forgerons qui sont détenteurs de connaissances et de pouvoirs magiques liés au feu sont exposés à la vindicte. Pour conserver les connaissances secrètes au sein du lignage, ils pratiquent l’endogamie. La société de son coté éprouve une crainte  et lui accorde une image négative. Les bedik donnent une importante considération à ces artisans du feu. Détenteurs de mystères ils font offices de chefs religieux soumis aux besoins socio religieux de la communauté.
Toutefois le feu est un élément protecteur et purificateur dans les deux groupes sociaux. L’influence des religions révélées permet d’associer à l’image de l’enfer.

Ces réalités bien que prégnantes dans les esprits et les imaginaires qui les nourrissent, deviennent inopérants dans ce monde ce monde en perpétuel évolution. La mondialisation permet l’émergence de l’individu et tente peu à peu de bouleverser la structuration engendré par l’imaginaire du feu .
 MYTHE SUR LES ORIGINES DU FEU EN SENEGAMBIE
Les récits sur les origines du feu nous sont fournis par  plusieurs peuplades dans tous les continents. « Pris dans leur ensemble ils semblent indiquer la croyance générale que l'humanité, en ce qui concerne le feu, aurait passé par trois phases : pendant la première, les hommes ignorèrent l'usage ou même l'existence du feu ; pendant la seconde, ils en vinrent à connaître le feu et à s'en servir pour se chauffer et pour cuire leur nourriture, mais ils ignoraient encore tout des façons de l'allumer ; pendant la troisième, ils découvrirent ou employèrent régulièrement, comme procédé d'allumage, l'une ou plusieurs des méthodes qui sont encore, ou étaient encore récemment, en vogue chez les races d'hommes les plus arriérées. » J. G. FRAZER (1930 : 184). Pour la Sénégambie nous nous intéressons aux deux dernières étapes.
Les témoignages que nous avons recueillis chez les Toucouleurs, relatent qu’ils auraient reçu le feu du ciel, par l’’intermédiaire d’un oiseau qu’ils appellent  Loriwal. D’après les descriptions, il nous semble que se soit le calaos connu par le nom vernaculaire de Toucan. Les  difficultés à comprendre la langue nous ont menées à ne pas tenter une transcription des contes recueillis. 
Chez les Bedik du oriental Sénégal, nous avons eu  deux réponses différentes sur les origines du feu. Dans le premier cas,  les indigènes disent que c’est  l’hirondelle qui apporta le feu aux hommes. Dans le second mythe c’est un autre oiseau au bec rougeâtre appelé calaos qui leurs auraient rapporté. On trouve encore  de nos jours dans plusieurs prières, les supplications à cette oiseau pour assurer l’intermédiation entre le ciel et la terre. Toutefois ces légendes nous amènent à considérer que les Bedik pensent avoir reçu le feu, du ciel grâce à un oiseau. Bien que ces mythes ne donnent pas assez de possibilités à pousser une recherche on peut penser que les pouvoirs qui sont accordés au feu relèvent surtout de cette croyance d’une origine céleste. L’ouvrage de  Marie Paule FERRY mentionne une idée assez difficile à expliquer : «  Etyowar, par ailleurs, est un village où le «  feu a été déposé » le jour où Labé le reçut. » M. –P. FERRY (1985 : 38). Bien que le nom de l’actuel village de Etyowar ait une allusion avec une origine du feu, nous ne pouvons pas encore interpréter comme le premier lieu ou le feu serait apparue en milieu bedik. Toutefois des recherches poussées pourraient donner une bonne interprétation. Pour la troisième période qui concerne  les méthodes d’allumage, il nous est relaté l’utilisation du forêt-à-feu et du frottement des pierres de silex à des périodes encore très récentes.
IMPACT DU FEU DANS L’ORGANISATION SOCIALE ET RELIGIEUSE
Le feu est un élément intrinsèquement lié à la vie des sociétés. Car en plus de son utilisation dans les foyers et à diverses activités, il détermine le comportement de certains groupes sociaux. Grâce aux valeurs symboliques qui lui sont accordé, le feu engendre un nombre d’interdits qui sont sacrées. N’entendons nous pas souvent dans plusieurs langues cette expression aux multiples interprétations : on ne joue pas avec le feu ?
Admettons avec Catherine PERLES que, « …du jour où l’homme découvrit l’usage du feu : parce qu’il est chaleur, parce qu’il est lumière, parce qu’il modifie les propriétés physiques des matières que l’on chauffe, le feu devient l’associé indispensable de l’homme dans tous ses actes quotidiens. » PERLES (1977 : 125) 
En effet, il n’est possible de parler de feu sans évoquer les cas des groupes tels que les forgerons et les potières considérés comme les « artisans du feu » en Sénégambie. Ces groupes sociaux souvent endogames, observent des rites divers selon l’ethnie ou la caste. « Chaque ethnie se trouve peut-on dire face à ses propres forgerons, lesquels cependant jouent dans chacune d’elles un rôle social et religieux parfois de premier plan. » G. DIETERLEN (1964 : 5). Cette réflexion permet de souligner l’existence de forgerons qui assurent les rites et les cultes dédiés aux génies du feu dans les divers peuples. Et leur conception plus ou moins semblable du feu  dans cet espace.
Le milieu social haalpulaar
Les forgerons se rencontrent dans presque toutes les ethnies de la Sénégambie. Mais toutes, n’ont pas développé un système de caste à l’endroit où ils se trouvent. La caste des forgerons existe principalement chez certains peuples tels que les peuls. Dans ce milieu, la forte hiérarchisation constitue l’une des caractéristiques fondamentales.
Pour apporter une réponse à l’origine des ces castes plusieurs hypothèse sont émises. Ainsi, comme l’écrit Amadou Hampaté BA : « Dans les temps anciens, les métiers où l’art était considéré comme une expression incarnée des forces cosmiques. Par soucis de ne pas mélanger imprudemment les forces qui pouvaient être de nature incompatible, et pour conserver les connaissances secrètes au sein du lignage, ces groupes furent amenés à pratiquer l’endogamie » A. H BA., (1972 : 12). Sur le plan de la justification religieuse et idéologique, cette conception trouve son importance. Car nous découvrons une certaine méfiance à divulguer un secret qui demeure l’apanage des forgerons. 
 D’autres analyses s’accordent à dire que le système de caste serait issu d’une longue évolution caractérisée par :
§ La division du travail social non accompagné d’une hiérarchie entre métier
§ L’apparition d’une certaine hiérarchie privilégiant les guerriers, les chasseurs et les forgerons.
§ Le passage de la hiérarchie matérielle et technique à la hiérarchie métaphysique avec l’adoption d’une idéologie mystique. 
Cette dernière phase serait surtout apparue chez les peuls de la Vallée du Sénégal. Dans presque toutes les sociétés le forgeron à toujours inspiré  la peur. S’il oubliait quelque chose dans la forge, personne n’osait y toucher. Qu’en est-il des bedik ?
La société bedik 
Il convient toutefois de ne pas généraliser et laisser croire que les forgerons et les potières sont partout castés. Chez les Bedik par exemple, les forgerons ont un statut particulier mais qu’on ne peut pas confondre au système de caste. Connus sous le nom de ɓësap (pluriel de asap) ils forment l’ensemble des familles KANTE et SAMOURA. Quoique considérés comme des biwol (dialecte des Bedik), ces derniers disent venir du Fouta de Nagoy près de Gumbambere. Leur ancêtres se seraient mis sous la protection des Banongal ; c'est-à-dire les KEITA. Dans cette société égalitaire, il n’existe pas à notre connaissance une interdiction de mariage ou de toute autre contrat entre des personnes de familles différentes. Ici le nom de famille détermine le statut de forgerons ou de griot plus souvent de famille CAMARA.  
Dans certains villages les SADIAKHOU font office de chefs religieux, gardiens des coutumes. C’est eux qui sont chargé de médiatiser entre les hommes et les esprits de la brousse. Lors des grandes cérémonies, le griot commence par saluer d’abord le forgeron et toute distribution alimentaire ou autre est préalablement servi au chef « asap ». Il est considéré comme le premier chef des chefs car il est né chef. Dans cette société, l’exogamie du forgeron n’a de limite qu’à l’endroit des peuls pour des raisons probable de différence religieuse. 
Au-delà des fonctions socio économique, il occupe une fonction de maître dans le culte rendu aux génies du feu, qui semble omniprésente dans la vie de l’individu.
En « pays bassari », les potières ne sont pas nécessairement des femmes de forgerons. Presque toutes les femmes pratiquent la poterie comme une activité génératrice de revenu. Aucun mépris n’entache donc la production céramique, car devenu un artisanat populaire permettant de faire vivre les femmes et leurs enfants. La tâche de la femme du forgeron dans la vie religieuse se limite à la fabrication de vases culturels et à certains rites à certaines étapes de la chaîne opératoire.
Dans certaines sociétés les forgerons et les potières sont méprisés ou vénérés, du moins respectés sur leurs lieux de travail. En milieu bedik, ils jouissent pleinement  d’une réelle considération, car ils sont détenteurs de pouvoirs magiques et intermédiaires entre les hommes et les génies. Cette place qu’ils occupent nous amène à élucider la pensée collective qu’ils ont du feu. 
SYMBOLISME ET SENS DU FEU DANS LES SOCIETES SENEGAMBIENNE
Dans diverses sociétés, le feu est l’objet de culte et porteur de symbolisme. A partir du moment où des préoccupations religieuse sont attestées chez les groupes humains préhistoriques, avant même le Paléolithique supérieur, la possibilité d’une valeur symbolique du feu ne doit pas être négligée. Mais l’analyse doit nous mener a affirmer avec prudence, l’existence de quelque aspect rituel ou symbolique du feu au paléolithique. Il n’apparait pas explicitement dans l’ensemble symbolique le mieux connu, l’art.
Ceci n’implique pas pour autant que le feu n’ait pas eu une valeur, car la représentation graphique ne transcrit pas nécessairement un système de pensé dans sa globalité. L’association du feu à un  dépôt ou la combustion d’un élément inhabituel pourrait être interprétée  comme un acte symbolique.
Dans l’univers mental des sociétés sénégambiennes, le feu qui est une source de chaleur et de lumière revêt une importance considérable d’où toutes les peurs, toutes les espérances et leurs fruits culturels jaillissent.
Chez les Haalpulaar
Presque toujours, les forgerons invoquent dans leurs prières le prophète David (Anabi Dauda), qu’ils considèrent comme leur initiateur. Traditionnellement ils sont en rapport étroit avec un certain nombre de génies, maître de la brousse, des arbres, des eaux et des rochers, qu’ils invoquent aux différentes étapes de leur travail. Appia donne un ensemble de génies que les forgerons peuls invoquent pour obtenir une autorisation préalable à chaque activité se rapportant à l’usage du feu. Chaque forgeron détient un nom qu’il associe à un génie protecteur. Nous pouvons citer « ginna lolo, ginna sanmalolo,ginna Sofont » B.  APPIA (1965 : 321). Il y a dans ce milieu une représentation qui oblige que toute activité lié au feu ait la permission des ginnadyi (pluriel de ginna). Ces pratiques permettent d’appréhender la valeur symbolique et surtout leurs capacités d’ordonner, et de donner sens au comportement de la société dans sa globalité.
En effet, nous comprenons aisément la crainte et le mépris  qui sont relativement réservés au forgeron en milieu haalpulaar. A cause de son ingéniosité, de son rapport avec le feu et les choses mystiques, il est exposé à la vindicte sociale. Dans l’imaginaire, la forge est un lieu maléfique car c’est le lieu des choses qui se transforment et qui épousent d’autres formes jusque-là inconnues. Elles perdent leur essence. Le forgeron est celui qui rend le solide liquide et qui lui donne une forme esthétique qui frappe l’imaginaire de la société. Dans baylo, on peut bien tirer le verbe waylude (transformer dans le sens ingénieux du terme). 
Mais le côté maléfique de la forge est symbolisé par le feu (une pensée à l’enfer promis aux mécréants et ceux qui ont dévié de la voie tracée par l’islam, sirat al moustaghima). Celui qui est en contact avec la force destructrice du feu ne peut qu’être celui-là même qui a signé un pacte avec les esprits malsains. Le jayngol (feu) est associé à une force destructrice et par conséquent maléfique. Trois verbes alternent pour exprimer la force du feu : summde (brûler), duppude (incendier) et gnamde (manger dans le sens vorace du terme). Tout cela traduit une destruction rapide dont le résultat est la désolation, la lamentation et tout ce que cela comporte comme impuissance. 
 En milieu bedik  
Le feu intervient à toutes les étapes importantes de la vie. A la naissance d’un enfant, un feu est allumé dans la case de la mère. Pendant l’initiation comme l’écrivent Gomila et Ferry :  « Autrefois un feu y était entretenu en permanence.»  GOMILA et FERRY (1966 : 244) dans le ga-ndyararar, qui est la seule maison décorée  et aussi le temple de la sagesse masculine. Car ici, le feu est un élément protecteur et purificateur.
CLARKSON M. citant  Marie Paule FERRY, nous décrit le symbolisme associé au feu le jour du baptême d’un garçon : « On apporte du feu. Le vieillard va monter à l’enfant comment il devra travailler. Il lui montre le nid d’oiseau (cueilli la veille par le père) pour qu’il sache comment fabriquer une toiture, puis brûle le nid, avec les herbes sèches et les branchettes […]. Puis on passe trois fois l’enfant, de mains en mains, au dessus du feu. (La fumée doit chasser les mauvaises maladies et assurer à l’enfant une nombreuse progéniture). Le vieillard prend ensuite dans sa bouche un peu de bière non fermenté ; le bálángo  et crache dans le feu, jusqu’à ce qu’il s’éteigne » M. CLARKSON (1985 : 50). Ce passage explique le sens que le Bedik donne au feu.
D’abord intervenant à plusieurs étapes de la vie, il est perçu comme ayant le pouvoir de  protection face aux maladies et aux esprits maléfiques. Il protège des sorciers qui sont appelés « ɓër-gëmëd » ceux de la nuit, car la flamme est crainte par ces nycthéméraux. 
Ensuite élément de purification en période d’initiation. Pour Lieberherr, « le symbole mort et résurrection est le thème initiatique où à la mort fictive succède la résurrection symbolique d’un être devenu digne d’accéder à une autre vie ».LIEBERHERR (2006 : 27) Ce rite de passage se retrouve dans la société traditionnelle bedik avec la mutation brusque de l’enfance à l’état adulte. L’adolescent régénéré par la vertu du feu intègre un nouveau  monde et se purifie de toutes les souillures antérieures et prétend à une nouvelle naissance. 
Dans la croyance chrétienne également, le feu conduit à la mort effective, puis à la résurrection. Ainsi un martyr meurt par le feu, mais renaît par la grâce de Dieu.
Enfin comme un élément qui  fait monter les prières vers Dieu, O-run. Pendant les funérailles certains habits du défunt sont brulés en récitant des prières. Lorsque nous avons demandés à un vieillard Tama douɓël chef coutumier de Iwol, pourquoi le feu assuré dans l’imaginaire des Bedik, le transport des prières vers Dieu, sa réponse fût très intéressante. Dans leur pensée, le feu vient du ciel. C’est pourquoi, les flammes  s’élève contrairement à l’eau qui s’infiltre et le vent qui se déplace de façon irrégulière. En s’élevant il emporte avec lui les prières par la fumée qui monte au ciel. Le feu sert d’intermédiation entre l’homme et les puissances surnaturelles et permet une communication entre l’humanité et les divinités.
 Cette pensée est aussi partagée dans la conception judéo-chrétienne. Quand on lit les passages de la  Bible au livre de la genèse, on voit que Caïn et Abel offrirent à Dieu des offrandes brûlées dans les flammes. Ainsi les sacrifices d’Abel, furent perçus comme exaucées car la fumée monta au ciel. (Gn 4, 3 – 6). Il est établi par Dieu pour éprouver la sincérité des fils d’Israël et la pureté de leurs intentions.  Dans les Ecritures Saintes, l’Enfer est représenté aussi par un feu. Dans l’Evangile de Saint Marc au chapitre 9 le verset 43, Jésus dit que l’Enfer est un feu qui ne s’éteindra jamais. Il est désigné comme une fournaise de feu et de soufre où les méchants seront tourmentés éternellement.
Deux grandes fêtes sont organisées entre Décembre et Février ; le mer-mar usyil pour les ɓiwol et Maccako pour les ɓanapas. Pendant ces «  trois mois de la saison sèche (décembre-février) l’abondance règne (la paille qui envahit les abords du village est rituellement brulée)… » M.- P. FERRY (1985 : 42). Ce rituel se déroule en trois étapes. Il commence un Vendredi  matin par une campagne de chasse dans  les environs du village. Le soir tous les gibiers sont rapportés au village ainsi que quelques tubercules d’ignames sauvages qui serviront à invoquer les génies et les esprits des ancêtres.
Au village le chef religieux demandera aux esprits de veiller à ce que le feu brûle calmement, puis il donnera du feu prie dans sa concession à un adulte dont sa maman est issu de la famille des forgerons. Après ceci, des manifestations culturelles de danses et de chants suivent jusqu’au matin. La difficulté réside dans la corrélation possible entre leurs récits mythiques qui donne l’apport du feu à un oiseau et l’invocation de génies, c'est-à-dire des dieux pendant ces rituels. Cette énigme nous laisse sans réponse, car deux sources sont mise en évidence : animale et divine. Le feu représente un élément vital pour l’homme, un repère fondamental de l’humain, car s’il est signification et sens pour l’homme, il ne lui donne pas moins aussi sens et signification.